Célimène Gaudieux, La muse des trois bassins

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Célimène Gaudieux est une mulâtre réunionnaise née esclave d'une mère d'origine malgache et de son maître créole, elle a marqué l'histoire culturelle de la Saline et de toute l'île par ses écrits et ses chansons. Un collège porte son nom.

Même si certains historiens font naitre Célimene Gaudieux en 1806 (« Mémorial de La Réunion » d’Henri Maurin et Jacques Lentge), il est arrêté aujourd'hui que Célimène est née Marie-Monique, le 20 avril 1807 à Saint-Paul, d'une mère esclave nommée Candide et de son maître Louis Edmond Jeance. Louis Edmond Jeance affranchit Candide en 1811 et l'épouse dix-neuf ans plus tard en 1830. Les deux filles nées de leur relation, Marie-Monique et Marie-Cécile sont elles aussi affranchies en 1811. Célimène n'a alors que quatre ans. Elle est Marie-Monique à l'état civil mais se fait déjà appeler Célimène.

En 1939 Célimène épouse Pierre Gaudieux, un ancien gendarme colonial originaire de Dordogne qui vit au relais de poste de la Saline, sur la route nationale entre Saint-Paul et Saint Leu. Il y est maréchal ferrant. Elle s'installe avec lui à la Saline et devient aubergiste. Après avoir servi le repas et le vin aux voyageurs, Célimène les distrait par des chansons souvent composées à partir de ses propres poèmes. À ceux qui lui faisaient remarquer sa couleur de peau, elle rétorquait :

«Je suis une mulâtresse, c’est vrai, mais mon mari est de race blanche, et il est de règle que le cheval anoblit la jument»

L'auberge était donc la scène principale sur laquelle Célimène se produisit jusqu'à sa mort. Bien qu'elle n'ait pas fréquenté l’école, Célimène avait appris, en autodidacte, à lire et à écrire, puis à versifier en créole comme en français. Elle n'avait pas appris non plus la guitare mais en jouait pour accompagner ses chansons. L'instrument apparait sur l'unique portrait qui nous est parvenu et même si on ne sait pas depuis quand elle en jouait ni si elle en jouait souvent, l'instrument fait partie de l'histoire de l'artiste. Elle est conservée aujourd'hui au musée de Villèle.

Guitare allongée de Célimène sur fond blanc
Guitare allongée de Célimène conservée au musée Villèle à la Réunion

En juillet 1852, Pierre Gaudieux décède durant l'épidémie de variole qui toucha l'île. Un inventaire du couple est dressé qui ne fait pas mention de la guitare. Elle a donc surement été offerte à l'artiste après cette date. D'après la forme et la facture de l'instrument, il devait venir de métropole ce qui a dû en faire un joli cadeau pour l'artiste de la Saline.

Célimène n'était sans doute pas une virtuose de la guitare, les traces d'usure sur le manche de l'instrument montrent qu'elle ne devait connaitre que quelques accords ce qui devait suffire pour accompagner ses chansons auxquels les textes donnaient toute la puissance.

Son auberge baptisée « Hôtel des hommes d’esprit, les imbéciles doivent passer sans s’y arrêter » reflète la verve de la Célimène qui ne ratait pas une occasion de montrer sa répartie et de railler ses détracteurs via une chanson ou un poème. Son verbe enlevé attire les gens de lettres de l'époque qui viennent à l'auberge voir la « muse des trois bassins ». C'est grâce à ces intellectuels de l'époque que Célimène est connue aujourd'hui. Ce sont eux qui rapportent son existence, son talent et sa verve.

Ainsi Thomy Lahuppe, journaliste, Eugène Volcy Focart, auteur d'un ouvrage sur « Le Patois Créole » en parle dans leurs écrits et correspondance. Le lithographe Antoine Roussin, auteur d'un album illustré de la Réunion inclut la chanteuse dans son L'Album de l'île de la Réunion. Il est l'auteur du daguerréotype dont s'inspire les gravures de l'artiste.

Alfred Francine est le premier à produire une gravure de Célimène jouant de la guitare publié en 1861 dans Le voyage à l’Île de la Réunion (Île Bourbon). L'année suivante, c'est Antoine Roussin qui grave à son tour une planche lithographique où Célimène a les traits plus marqués, elle est habillée d'une robe noire et coiffée d'une capeline.

Une troisième gravure de Célimène est faite par Charles Joseph Mettais, portraitiste, et publiée dans les numéros 140 et 141 du journal Le Tour du monde d'Edouard Charton. Sur ce dernier portrait Célimène a l'air plus jeune.

Trois gravures de Célimène cote à cote, le premier, sépia est issue de la photo, le second, blanc où Célimène est plus jeune, le troisième ocre où elle montre des traits plus marqués.
Les trois portraits de Célimène, par Antoine Roussin, Alfred Francine puis Charles Joseph Mettais.

Des bons mots mais peu d'écrits

Les voyageurs lettrés et ses amis ont écrit sur le phénomène Célimène décrivant son talent de femme, poète et compositrice, sa verve satirique et ses bons mots même après sa mort survenue le 13 juillet 1864. Mais elle même, n'a pas laissé beaucoup d'écrits en dehors de quelques lettres. Ses chansons ont hélas pour la plupart disparues.

Ce n'est qu'en 1929 qu'une commission présidée par le Gouverneur de l'île Émile Merwart s'intéresse à Célimène. Elle décide d'envoyer une délégation à la Saline pour interroger les plus âgés et enregistrer par écrit les airs et les chansons de Célimène. Seules quelques-unes nous sont parvenues.

Ses chansons les plus connues sont peut-être Missie L et Blanc Malhonnête mais aussi l'Autoportrait de Célimène ou Monsieur de Kerveguen.

Je suis cette vieille Célimène,
Très laide, mais non pas vilaine.
Je suis une pauvre créole,
Qui n’a pu aller à l’école,
Légère en conversation,
Mais pas du tout en action ;
J’ai la tête remplie de vers,
Que je fais à tort et à travers.
Trop froissée, je satirise
L’impoli qui me ridiculise.
Et jamais je me déguise.
Je fais connaître le ridicule,
Aux bigots je fais sauter la bascule,
Il faut que celui qui avance recule,
Reste honteux, gobe la pilule.
Je respecte les vrais dévots,
Mais je crains beaucoup les bigots.
Avec les fous je fais la folle,
Avec les sots, je fais la sotte ;
Et jamais ne perds la boussole ;
Pour éviter les avaris,
Les grandes, les gros et les petits,
Blancs, noirs ou gris sont mes amis.
J’admire l’aristocratie,
J’aime et plains la démocratie,
Car j’appartiens à la dernière,
Mais je respecte la première,
Car ma vie n’a pas été que fleurs ;
Dans mes plus grands fonds de douleurs,
Les mains de toutes les couleurs
Sont venues essuyer mes pleurs..

La renommée

Aujourd'hui, la renommée de l'artiste n'en fini pas de grandir. Depuis la petite plaque à son nom posée dans l'ancienne auberge de la Saline, qui est depuis devenue une boulangerie, jusqu'au nom donné au concours du département Réunion (le concours Célimène) récompensant tous les ans les peintres et sculptrices amateurs depuis 2005.

Le collège de La Saline les hauts, porte le nom de Célimène Gaudieux. L'établissement présente Célimène sur son site mais aussi dans sa cour ou l'ancienne esclave a son buste, inauguré en le 8 mars 2022 à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes. De plus en plus, la muse des Trois Bassins devient rôle modèle pour les jeunes de ce collège alors qu'elle même n'a jamais fréquenté l'école.

Enfin, consécration ultime, un nouveau cratère formé lors de la première éruption volcanique de 2000 à été baptisé Piton Célimène en son honneur.